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Le Kagyu Meunlam, un grand festival de souhaits

Le premier Kagyu Meulam remonte au 7e Karmapa Chödrak Gyatso qui l'institua au Tibet durant le 15e siècle. L'objectif premier de ce festival annuel de souhaits était de renforcer la discipline parmi la communauté ordonné, de faire des offrandes aux bouddhas et bodhisattvas et d'alimenter la confiance des populations locales qui se pressaient à l'événement pour réciter les souhaits sus par coeur et écouter les enseignements.

 

Pas moins de 10.000 moines, dont le Karmapa à leur tête, se réunissaient ainsi lors du premier mois du calendrier tibétain. Ils commémoraient les miracles accomplis par le Bouddha et se livraient à la lecture d'un recueil de souhaits, structurée en vingt sections, qui avait été compilé par le Karmapa. Les souhaits étaient récités avec l'intention pure que tous les êtres accèdent au bonheur: cumul de mérites, effacement des tourments du monde, essaimage des semences de l'ultime libération et éradication de tous les obstacles et passions de l'être. Le cœur du Kagyü Meunlam se trouve là, et c'est une tradition qui s'est perpétuée sans interruption jusqu'à nos jours, dans tous les ordres du bouddhisme au Tibet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'est en 1983 que Kyabjé Dorjé Chang Kalu Rinpoché renoua avec la tradition sur le sol indien où il dirigea le Kagyu Meunlam à Bodhgaya, lieu d'éveil du bouddha Shakyamuni. Cette année-là, les moines récitèrent à eux tous un total de 100.000 Zangchö Meulams (la Reine des souhaits d'aspiration).

 

En 2004, Sa Sainteté le 17e Gyalwang Karmapa en assuma pour la première fois la responsabilité. À l'instar des éminents maîtres qui l'avaient précédé, il entreprit rapidement d'adapter l'événement à son temps, de le moderniser en quelque sorte. Il mit en chantier en particulier un nouveau recueil, y accordant une grande part aux textes indiens originels. Il fut rapidement décidé de faire traduire ce recueil dans une douzaine de langues, dont le français.

 

Présidé par le Karmapa, le Kagyu Meulam est un aujourd'hui un événement majeur de la vie Kagyupa. Il se tient tous les ans au lieu saint de Bodhgaya, en Inde du Nord. Là, venus de tous les coins du monde – aussi bien d'Asie, d'Europe, d'Amérique, de Russie, etc. –, des milliers de moines, de moniales et de laïcs se retrouvent, non loin de l'arbre de l'éveil du Bouddha, afin d'y réciter ces souhaits.

 

Le Gyalwang Karmapa créa le logo du Grand Festival des Souhaits en 2007. Il l'a imaginé tel afin qu'il puisse représenter l'harmonie parfaite, celle de tous les vivants et du monde qu'ils partagent. Les deux vagues symbolisent deux mains, l'une paume vers le haut, l'autre paume vers le bas, enchâssée l'une dans l'autre par leur première rangée de phalanges. 

 

 

 

Les souhaits bouddhiques

Le bouddhisme n’est pas avare de souhaits, surtout lorsque cette voie d’éveil se pratique selon la tradition du Vajrayana. 

 

“Que tous les êtres soient libérés de leurs tourments”, 

“que les famines, les conflits et les épidémies disparaissent à tout jamais”, 

“que les maîtres aient une vie la plus durable qui soit”, 

“que le monde ordinaire se vide et que les champs d’éveil s’emplissent”, etc. 

 

Qui ne les a pas lui-même lus ou entendus lire ces souhaits, ils sont parfois si nombreux à la fin d’un rituel que leur lecture en viendrait presque à occuper plus de temps que le rituel lui-même !

 

Le bouddhiste serait-il un doux rêveur aimant à s’enivrer, des heures durant, de souhaits les plus faramineux les uns que les autres ? De toute évidence, non ! On pourrait dire qu’à l’inverse, il est le plus pragmatique qui soit. En effet, à ses yeux, soit une activité n’aide pas à la libération, et elle se doit alors d’être bannie. Soit elle aide à la libération, et elle vaut alors d’être cultivée. Notons au passage que si les activités dites ordinaires ne sont pas à proprement parlé libératrices, elles peuvent toutefois avoir des vertus dès lors qu’elles sont productrices d’autonomie et de quiétude. Il s’agirait donc dans ce cas d’activités qui, si tant est qu’elles ne nuisent pas à la communauté, peuvent contribuer à la libération spirituelle. Le pratiquant bouddhiste ne s’en défie donc pas particulièrement.

 

Pour revenir à nos souhaits bouddhiques, nous pouvons donc affirmer qu’ils n’ont rien de pieuses revendications ! Ils sont en réalité l’expression d’une détermination clairement exprimée visant au changement, à l’amélioration, à la libération.

 

Nous disons “que tous les êtres soient libérés de leurs tourments”, mais c’est en fait l’expression publique de notre propre détermination, “j’annonce à qui veut l’entendre que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que tous les êtres soient libérés de leurs tourments.” Comment ? En mettant en œuvre les vertus du bodhisattva par exemple. Nous ne saurons bien sûr l’égaler, mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir ! 

Nous disons “que les maîtres aient une vie la plus durable qui soit”, mais en fait il faut entendre que “je clame haut et fort que je ferais tout pour que le maître vive le plus longtemps possible.” Comment ? De la seule façon qui réjouit vraiment le maître, c’est-à-dire en lui faisant le don de notre propre pratique. Elle ne sera peut-être pas parfaite, mais nous ferons tout pour qu’elle le devienne.

Et ainsi de suite…

 

Dans l’expression de son souhait, le pratiquant bouddhiste n’escompte donc par la médiation de forces extérieures, ni des dieux ni des hommes, il partage seulement avec ses pairs sa propre décision, sa propre détermination. La parole est ici donnée en public, elle a force de serment. Qu’il la trahisse, et nul ne viendra l’en blâmer, le punir ou le vouer aux gémonies. Il se verra lui même témoin de sa propre déchéance.

 

À ce stade, les souhaits et les vœux ont le même sens. 

Lorsque nous recevons les engagements du refuge, nous exprimons notre détermination à faire des trois joyaux (Bouddha, Dharma, Sangha) ceux envers qui notre confiance ne faillira jamais. Par suite, les voeux de libération personnelle (pratimoksha) du Hinayana sont le souhait, donc la détermination, à tout faire pour préserver notre éthique personnelle. Dans le Mahayana, les vœux de libération universelle (bodhicitta) expriment une détermination à tout mettre en œuvre pour la libération spirituelle de l’ensemble des êtres vivants. Et les serments (samaya) pris dans le Vajrayana expriment la détermination qui est la nôtre de maintenir, coûte que coûte, les vues pures vajra.

Ainsi le bouddhiste affiche-t-il là sa détermination radicale à agir afin d'exceller dans l'éthique personnelle, dans l'intérêt porté aux autres et dans les vues parfaites.

 

Toutes ces cérémonies se font en public, c’est essentiel !! Nous prenons refuge, c’est en public, même restreint. D’ailleurs nous imaginons que tous les êtres vivants sont également là, à droite, à gauche, derrière, au-dessus, partout. Et nous, nous répétons par trois fois et à haute voix, après le maître qui nous transmet le refuge, la formule du refuge. Pour les vœux d’ordination monastique ou de fidèle laïque, pour ceux de bodhisattva, c’est toujours à haute voix, devant l’assemblée. Et pendant les initiations tantriques, encore une fois, c’est à haute voix que nous répétons à certains endroits la parole du maître. Et à la fin, c’est toujours de cette façon que l’on récite le samaya qui vient conclure la transmission.

 

Souhaits et vœux, vœux et souhaits, il s’agit bien là d’une même chose.

           Notre détermination est ainsi l’expression assumée de notre non-passivité.

                     Notre parole publique médiatise notre pensée et nos actes, les trois alors réunis en un bloc, vajra.

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